Frédéric Pajak écrit, peint, dessine, publie. Son œuvre semble toujours essayer, chercher sa voie dans le cimetière des convictions, s’égarer dans les dédales d’une Histoire souterraine dédiée aux vaincus, aux oubliés, aux inactuels.
Avec lui, depuis une vingtaine d’ouvrages, on arpente les marges de la littérature, là où tombent les étiquettes des genres. Là où, depuis L’immense solitude (1999), texte et dessin se toisent pour inventer une forme neuve, de rigoureuse liberté. La prose tient sa ligne ; les tableaux d’encre profonde et précise, carrés comme des fenêtres sur le passé, suggèrent leur propre horizon. Frédéric Pajak écrit « il pleut » sous un paysage blanchi par le soleil. Dès lors tout devient possible, et l’imaginaire s’engouffre entre ces deux langages juxtaposés, dans le vertigineux interstice qui s’ouvre au milieu de la page.
Au sommet (provisoire) de l’œuvre, son généreux Manifesteincertain (Éditions Noir sur Blanc), beau comme un oxymore. Une polyphonie intime, labyrinthe de souvenirs éparpillés, d’autofiction bégayée, de méditations improvisées, de biographies émiettées. Un livre infini qui, après neuf volumes, quelques milliers de pages et dessins, vient néanmoins de trouver son terme. Du malheur de Walter Benjamin aux identités multiples de Fernando Pessoa en passant par la folie de Vincent van Gogh, le digressif Frédéric Pajak y exprime toutes les nuances du désespoir, sans oublier le sien. Entre rêverie et révolte, il laisse miroiter sa solitude dans les œuvres des peintres, penseurs et poètes à qui il consacre d’inoubliables portraits.
Abîmé dans la mélancolie, l’écrivain-dessinateur ? Oui mais radieuse, d’une éloquence rare, d’une lucidité souveraine – si l’on se souvient que lucidus veut dire « clair, lumineux, manifeste ». Inventeur de journaux décapants et éphémères, créateur des Cahiers dessinés où il édite les artistes qu’il aime, essayiste de l’incertitude, Frédéric Pajak éclaire le cœur des autres, repoussant à l’encre noire ses propres ombres. Et son œuvre est une illumination.