Chantal Prod’Hom

Chantal Prod’Hom

Autant en emporte l’élan

de Florence Grivel

Si elle était un objet ? Elle serait assurément une cafetière italienne, la Bialetti, une belle forme en aluminium, imaginée pour faire entrer le café dans les foyers, un objet iconique aujourd’hui, qui « comme les frères Dalton prend des formats qui vont du plus grand au plus petit ». Un plaisir quotidien agrémenté par l’action de moudre soi-même les grains, respirer les fragrances mocca puis entendre le son si caractéristique du café qui monte.

En d’autres termes, la grande ambassadrice du design prend le monde à bras ouverts, le goûte, fait rayonner loin à la ronde la poésie de l’ergonomie, développe les succès helvétiques à l’international, fait venir l’international en Suisse romande et, surtout, vibre au diapason de la créativité illimitée.
L’amorce de ce parcours à la fois sensible et audacieux est précoce.
Bougillonne, curieuse, ouverte, dès lʹenfance, Chantal ProdʹHom – petite dernière dʹune fratrie de quatre – a besoin dʹintensité, de sens, de concret : très vite, cette façon dʹêtre dans le réel se met en place.
Instinctive, elle aime observer, mettre en relation les choses, étudier les liens, prendre de la hauteur, être dedans, faire corps. A l’instar de la danse – enfant, elle suit des cours de danse classique et moderne – ou du ski – elle passera d’ailleurs son brevet de professeur de ski, une manière de financer ses voyages vers cet étranger qu’elle a hâte de découvrir.

Une fois de plus, lier l’utile et l’agréable, l’ici et l’ailleurs, une attitude tellement design !
Si le corps et ses possibles sont au cœur de ses jeunes activités, le dessein du design se dessine déjà (!).
En effet, cette discipline dont un des rôles est de répondre à des besoins, de résoudre des problèmes, ou d’améliorer la qualité de vie des êtres humains – pensé donc pour ou à partir du corps aussi bien individuel que social – deviendra naturellement quelque temps plus tard la raison pour laquelle elle mettra tant d’énergie et de talent à lui offrir une place de choix dans les arts.

Il faut du souffle pour suivre cette carrière que Chantal Prod’Hom n’a jamais projetée, dont l’évidence s’est orchestrée au fil de rencontres fertiles et d’un travail assidu.

Etudiante à la Faculté des lettres de Lausanne, elle choisit lʹarchéologie et lʹhistoire de lʹart. Aimant apprendre en faisant, elle met la main à la pâte lors de fouilles, elle suit la restauration dʹune peinture murale médiévale et se lance dans un mémoire sur lʹhistoire du premier musée des Beaux-Arts de Lausanne, cela lui a permis de comprendre la richesse des métiers et des compétences nécessaires à la gestion d’une grande institution. Sur place, elle vit aussi au rythme dʹune ville où il nʹest pas rare de croiser Warhol et sa bande.

Au retour de Chantal Prod’Hom à Lausanne, Erika Billeter, alors directrice du Musée cantonal des Beaux-arts de Lausanne, l’embauche comme conservatrice-adjointe. Lors de cette période, elle rencontre Pierre Keller, le génial passeur de culture aux idées fédératrices, fervent serviteur du design, ainsi que le grand collectionneur Asher Edelman.

Le début des années 1990 commence en trombe avec la création turbo de la Fondation Asher Edelman (FAE), premier musée dʹart contemporain romand sis à Pully près de Lausanne ( ?), que Chantal ProdʹHom va piloter de main de maître. Lʹaventure est intense et durera 5 ans. Dans cette petite portion de Romandie, peut-être pas encore prête à cela, défileront Jeff Koons et la Cicciolina, Ileana Sonnabend, Frank Stella, et d’autres stars de l’art contemporain international.

Entretemps, le photographe Oliviero Toscani, audacieux publicitaire pour Benetton rencontré lors dʹune exposition à la Fondation Edelman, lui propose de venir diriger avec lui sa Fabrica de jeunes créateurs, à Trévise. Le défi est de taille et prometteur. Deux ans après une vie trépidante autour du monde, à la recherche de nouveaux « talents », la future directrice du mudac revient à Lausanne et reçoit une belle proposition.

Les autorités de tutelle font confiance à Chantal Prodʹhom, qui sait respecter les budgets et mener à bien ses projets. Le projet du Musée d’arts appliqués et de design contemporain (mudac) à la place de la Cathédrale est lancé et les clefs lui sont confiées.
Cinq à six expositions par an auront lieu dans l’institution, un rythme soutenu pour un musée qui opte pour des propositions plus expérimentales et visionnaires que patrimoniales.
Croisant lʹart contemporain et le design, les expositions thématiques du mudac feront date. Au diapason de lʹair du temps, voire en avance, elles posent des questions et fertilisent les imaginaires. Air en forme, première exposition en 2000, Cache-Cache camouflage en 2002, Nature en kit en 2009 et Nirvana en 2014 en sont de beaux exemples, parmi tant d’autres.

Jamais deux sans trois ; lʹhistorienne de lʹart aura ainsi inauguré pendant sa carrière trois musées : la Fondation Edelman au tout début des années 1990, le mudac à la Maison Gaudard à Lausanne en 2000 et le Mudac nouveau en juin 2022 à Plateforme 10.
Et cela s’honore : elle reçoit de sa ville, Lausanne, la Médaille d’or 2022 pour son engagement remarquable en faveur du développement du Mudac et du nouveau quartier des arts Plateforme 10, dont elle fut présidente du Conseil de direction de 2015 à 2020, ainsi que pour sa contribution cruciale au rayonnement culturel de la capitale vaudoise.
La suite pour Chantal Prod’Hom, maintenant à « la retraite » ?
Se mouvoir, s’émouvoir, continuer à observer, à percevoir le monde au travers de celles et ceux qui le pensent, l’expriment par la créativité, et continuer à leur donner de la voix.

Florence Grivel est née en 1969, elle est historienne de l’art, spécialiste arts visuels à la RTS, auteure de fictions et de textes autobiographiques, elle peint, elle a publié deux recueils d’aquarelles en dialogue avec les poèmes de Julien Burri, elle conçoit des expositions, elle produit des audio-guides pour des expositions de diverses institutions culturelles.