Thomas Ott

Video: Gina Folly
Schnitt: Miriam Leonardi
Musik: Daniel Hobi aus dem Kurzfilm «Haru Ichiban» von Aya Domenig CH/JAP 2005

Thomas Ott, 1966

Créateur de bande dessinée et illustrateur, Zurich

Tho­mas Ott (né en 1966) exerce à Zu­rich les mé­tiers d'illus­tra­teur et de des­si­na­teur de bande des­si­née. Il crée des uni­vers sombres et étouf­fants qui n'ap­par­tiennent qu'à lui. Après ses études à la Kunst­ge­wer­bes­chule à Zu­rich, il a tra­vaillé pour de nom­breux jour­naux et ma­ga­zines eu­ro­péens. Entre sa pre­mière et sa der­nière pu­bli­ca­tion (Tales of Error et A Hell of a Woman), Tho­mas Ott a peau­finé sa tech­nique de la carte à grat­ter. Les per­son­nages et les scènes qu'il des­sine en prê­tant une at­ten­tion par­ti­cu­lière aux dé­tails sont sai­sis­sants. Pa­ral­lè­le­ment, ses bandes des­si­nées muettes sont de­ve­nues plus riches et com­plexes, don­nant vie à des ré­cits ka­léi­do­sco­piques à la fois vio­lents et fas­ci­nants.
La Confé­dé­ra­tion dé­cerne un Grand Prix suisse de de­sign à Tho­mas Ott. Elle le ré­com­pense ainsi pour la place unique qu'il oc­cupe sur la scène suisse de la bande des­si­née et de l'illus­tra­tion ainsi que pour son in­dé­niable rayon­ne­ment sur la scène in­ter­na­tio­nale. C'est la pre­mière fois qu'un Grand Prix suisse de de­sign est dé­cerné à un réa­li­sa­teur de bande des­si­née.

Essai

Cruellement Bonne

Nous n'avons pas connais­sance de la moindre re­cherche pour sa­voir si, après 1945, tout homme situé entre Mos­cou et New York n'a pas des­siné une tête de mort au cours de sa vie.
Mais même sans preuve utile, nous sommes convain­cus que la tête de mort est une par­tie ir­ré­pres­sible de la mé­moire col­lec­tive - et qu'elle est sans doute beau­coup plus que cela.
Au­jour­d'hui plus que ja­mais, les ten­ta­tives d'épou­vante et de me­nace hys­té­rique au moyen de têtes de mort nous sont fa­mi­lières. C'est la peur des pe­tits es­prits, celle qu'on at­tise, fi­celle et ré­chauffe en fin de compte de ma­nière ri­gou­reu­se­ment com­mer­ciale pour la ser­vir tiède sur les tables de salle à man­ger. La tête de mort jouit... et se tait. Ott ar­rive après.
Le mil­lion­naire et ve­dette de TV-réa­lité Ro­bert Geiss, alias Ro­berto Geis­sini, de même que d'autres gou­rous du mains­tream à la Tho­mas Sabo ou Ed Hardy, vendent leurs têtes d'oeufs lui­santes en prêt-à-por­ter et sapent ainsi tout le plai­sir dû à la peur et le res­pect de l'ob­jet-culte. Ce n'est pas bien.
Leurs che­mises, sur les­quelles crânes, croix et dra­peaux amé­ri­cains se fondent en un trip­tyque d'in­si­gni­fiance, s'ac­cordent comme le poing sur la fi­gure avec les gros bi­joux à tête de mort et yeux de strass. Si, sur le che­min du stu­dio de ta­touage le plus proche, on tombe en­core par ha­sard dans un cré­pi­te­ment de flashs, le bras se lève spon­ta­né­ment pour le salut sa­ta­niste. Presque comme au bon vieux temps de l'uni­vers pop, où les Guns N' Roses fleu­ris­saient dans les re­coins les plus obs­curs des cer­veaux des jeunes et des mi­di­nettes.
Ceux qui ont en­tre­temps fait ef­fa­cer au laser et à grand prix les ra­mures or­nant leurs fesses se pa­rent de­puis peu de dirndl à tête de mort à en­fi­ler et ôter, comme la jet-set­teuse Cora Schu­ma­cher. Et cela à risque net­te­ment moindre. Pour un car­na­val quel­conque. Reste seule­ment à sa­voir qui épou­vante le plus - le por­teur ou le porté.
Dans le car­na­val de José Gua­da­lupe Po­sada, on fait aussi la fête. Mais au­tre­ment. Là, les sque­lettes dansent fré­né­ti­que­ment pour sym­bo­li­ser la ré­con­ci­lia­tion entre la vie et la mort, raillant ainsi une haute bour­geoi­sie déjà morte avant d'avoir vécu. Leurs crânes ri­canent dia­bo­li­que­ment... et se taisent. Ar­rive alors Ott.
Qui­conque est resté trop long­temps seul avec soi-même et s'est mis à croire que la mort était un es­prit tour­men­teur dan­ge­reux, aux ten­ta­cules bes­tiales, com­prend après cela beau­coup mieux que la réa­lité et la fic­tion sont plus en­che­vê­trées dans la per­cep­tion qu'elles n'en avaient l'air jusque-là. L'on ne peut que spé­cu­ler sur le temps qu'Ott passe chaque fois seul avec soi-même et fixe son verre sombre, car il trouve la mort cruel­le­ment bonne.
Dans ses his­toires, il dé­com­pose sans conces­sion la quête du bon­heur en bû­chers san­glants, les gens dé­si­reux de mener une vie or­don­née en un tas d'hys­té­riques ir­ré­flé­chis.
Il li­bère l'homme de son hu­ma­nité. Montre de façon gro­tesque et lu­dique ce qui se passe quand on finit quand même par en ar­ri­ver au pire. Pié­tine sans ex­pli­ca­tion l'es­poir de jours meilleurs et cé­lèbre les mé­chants sans la moindre gêne. Dans cette che­vau­chée in­fer­nale à l'abîme, pas de pri­son­niers ! Ce n'est qu'ainsi que l'état de mor­tel est vrai­ment jouis­sif.
Enfin la clarté luit. Après une vie d'alié­na­tion, des gens dé­vo­rés par le quo­ti­dien re­gardent la mort cer­taine en face, les yeux grands ou­verts, mort qu'ils ont mise eux-mêmes en scène. Ou tout cela n'était-il qu'un beau rêve ?
Mort ou pas mort, telle n'est plus la ques­tion. Dans ce car­nage noir et blanc qui fait suer, toutes les fron­tières se sont dis­soutes de­puis long­temps et le bord du monde com­mence.
Ott lutte avec fer­veur pour les der­nières âmes so­li­taires de la so­ciété. As­sas­sins, bu­veurs, pros­ti­tuées, mau­vaises mères, rê­veurs sans licou, il les mène tous plus ou moins heu­reu­se­ment au but - ou di­rec­te­ment au tom­beau.
Aux autres - ma­lades, per­dants, et dam­nés pour l'éter­nité - il sou­haite une cor­diale bien­ve­nue dans son der­nier voyage vers le ci­me­tière des âmes in­no­centes.
PS :
On n'en­ten­dra pas Jim Mor­ri­son chan­ter « The End ». Lui gît dans un autre ci­me­tière.
A.C. Kup­per et Su­zana Roz­kosny
Tra­duc­tion: Gilles Cue­nat, BAK